Histoire de la 1ère Fabrique de Montres de Moscou

La Fabrique de Montres d’État N°1, Первый Государственный Часовой Завод – 1ГЧЗ) est créée grâce à l’importation, en 1930, des machines, brevets, pièces de la société américaine Dueber-Hampden Watch Company (à Canton, Ohio), acquise aux USA par une mission d’achat soviétique.

Pour lire le récit de cette mission d’achat aux États-Unis

28 wagons de machines et de pièces partirent en URSS, et une vingtaine de techniciens furent du voyage pour démarrer la production.
À peu près au même moment où l’équipement a été expédié des États-Unis, la construction de la 1ère Fabrique de Montre du Trust d’État pour les Mécanismes de Précision (1-йо Государственной Часовой Завод Треста Точной Механики, en abrégé 1ГЧЗ) a été lancée comme un projet de « priorité absolue ».
Le bloc principal a été construit sur l’emplacement d’une usine de tabac appelée «Krasnaya Zvevda» (étoile rouge) rue Vorontsovskaya.

La fabrique Krasnaya Zvevda, rue Vorontsovskaya, à Moscou
La fabrique Krasnaya Zvevda, rue Vorontsovskaya, à Moscou

Les travaux ont commencé en février 1930 et se termineraient en juin 1930. L’installation de l’équipement principal de Dueber-Hampden a été achevée en 15 septembre 1930.

Le bâtiment de la Fabrique achvé en 1930
Le bâtiment de la Fabrique achevé en 1930

Pour commencer son activité, la fabrique mit en production quatre types de montres : une montre de poche pour homme à 15 rubis à destination du Commissariat du Peuple aux Moyens de communications (Narkomat), une montre-bracelet à 7 rubis pour l’Armée rouge, et deux montres pour le marché : une montre à gousset pour homme à 7 rubis et une montre-bracelet pour femme à 15 rubis.

Le 7 novembre, les 50 premières montres de poche ont été commandées pour la fabrication. Ces montres ont été présentées lors d’une réunion de cérémonie au Théâtre de la Révolution, maintenant connu comme le Théâtre du Bolchoï.
Le calibre dit Type-1 est du modèle Dueber-Hampden (les premiers exemplaires intègrent mêmes des pièces américaines).

Des montres de Type-2, Type-3 et Type-4 seront également produites, mais en plus petites séries, et leur production sera vite abandonnée.
Le Type-1 sera la principale production de la Fabrique avant-guerre ; elle en produira aussi des versions modifiées, et une partie de la production a été livrée à la Deuxième Fabrique de Montres de Moscou qui les emboîte à partir de 1941.

Carte postale célébrant la production de montres en 1931

Pour une histoire détaillée du Type-1 et de ses dérivés, cliquer ici

Les premières productions de la Fabrique
Les premières productions de la Fabrique
Une K-43 fabriquée en 1936 : K pour Kарманные, « de poche » et 43 en raison de son diamètre (collection B. Hanoï)
Le mécanisme Type-1 porte le logo en diamant de la 1ère Fabrique

En 1932, la fabrique commence à produire des montres pour les tableau de bord d’avions et des chronomètres.
L’histoire de l’usine sera dès lors liée à celle de l’aviation soviétiques dont elle équipera appareils et équipage.

Tableau de bord d’un I-16 10

Le 16 décembre 1935, la fabrique prend le nom de Fabrique de Montres Kirov suite à l’assassinat du dirigeant communiste.

Sergueï Kirov

En 1935-36, la fabrique reçoit de nombreuses nouvelles machines et la production se développe considérablement.
De 1935 à 1941, la fabrique produit 2.7 millions de montres-bracelets et à gousset K-43 emboîtant un Type-1.

La Fabrique dans les années '30

En octobre 1941, en raison de l’avance des armées hitlériennes, il est décidé d’évacuer la Fabrique dans l’Oural, à Zlatoust, à 1.400 km au sud est de Moscou.
La décision d’évacuation est prise le 16 octobre 1941, le démantèlement complet intervient le 28 novembre, le 30 novembre les bâtiments sont investis à Zlatoust.
Les premières productions de l’usine (des détonateurs) sortent précisément le 25 décembre 1941, date officielle de la création de la Fabrique de Montres de Zlatoust « Agathe » (Златоустовский часовой завод Агат). Ce nom apparaître ultérieurement car pendant la guerre elle se nomme Fabrique N 834 NKMV Завод N 834 НКМВ), le NKMV étant le Ministère de l’Arme des Mortiers dont dépendait la fabrique. Pendant la guerre, la fabrique produit des éléments de munitions, du verre pour l’aviation, des horloges de bord pour l’aviation et la marine et des pièces de Katioucha.

Voir l’histoire du Commissariat du Peuple à l’Arme des mortiers

A Moscou subsiste une production dans ce qui est appelé Fabrique N°845 NKMV. En 1943, la fabrique réintègre Moscou et est rebaptisée: Première Fabrique de montres de Moscou (Первый Московский Часовой Завод – 1МЧЗ).

La guerre n’est pas encore terminé que l’usine commence une production pacifique: en 1943 des outils d’usinage pour l’industrie horlogère, en 1944 des horloges de cheminée et pour automobiles.
En avril 1945, l’usine a cessé la production de munitions et prépare la production d’une nouvelle montre, la K26 Pobeda (Victoire). La production de cette célèbre montre, dont le nom et les spécifications ont été supervisées par Staline, se fera de 1946 à 1953 dans la 1ère Fabrique de Montres de Moscou.

Pour la genèse de la Pobeda, cliquer ici

La Fabtrique en 1947, décorée pour le 800e anniversaire de Moscou
La Fabrique en 1947, décorée pour le 800e anniversaire de Moscou

En 1949, les montres Stourmanskie (Navigateur, mais pas dans le sens « marin » mais dans celui de l’homme qui détermine la trajectoire) ont été mis en production pour l’usage exclusif de l’aviation militaire. Son mécanisme est une évolution de celui de la Pobeda.
La Stourmanskie entre dans l’histoire le 12 Avril 1961, lorsque Youri Gagarine emmène la sienne dans le premier vol cosmique.

Youri Gagarine et sa Sturmanskie
Youri Gagarine et sa Sturmanskie

En 1955, 1,1 millions de montres mécaniques ont été produites par la Fabrique.
En 1956, la production des premières montres automatiques commence, sous la marque Rodina (Patrie) a commencé.
En 1957, selon un ordre spécial du gouvernement, la montre Antarktika (Antarctique) est produite pour les participants de la première expédition soviétique au pôle Sud. Ces montres avaient un cadran de 24 heures, un mouvement basé sur celui de la Pobeda et un bouclier spécial contre des puissants champs magnétiques.
En Octobre 1957, l’Union soviétique a lancé le premier satellite artificiel dans l’espace. La fabrique produit deux variantes de la montre Spoutnik (Satellite), basée sur la Pobeda.
En 1959 apparait le fameux chronographe Strela (Flèche) à destination exclusive des officiers de l’aviation et en 1961 apparaît enfin la première montre sous la marque Poljot (envol, vol)En 1959 toujours, année prolifique, la Fabrique produit sa fameuse Signal 2612 à alarme, qui connaitra un grand succès.

Le 2 octobre 1959, le gouvernement soviétique désigne la Première Fabrique de montres de Moscou comme entreprise leader pour les exportations horlogères. La part des exportations (notamment sous la marque Sekonda) de la production passe de 42% en 1959 à 80% dans les années 90. Les montres sont été exportés vers 70 pays différents, y compris les Etats-Unis, l’Angleterre, la Belgique, l’Italie, l’Allemagne de l’Ouest, Hong Kong, la Grèce, et bien d’autres.

Catalogue d'export de la Fabrique
Catalogue d’export de la Fabrique

En 1961, la Fabrique crée, à partir d’une feuille blanche, pour des concours et pour prouver que l’industrie soviétique pouvait rivaliser avec l’industrie suisse, son célèbre calibre 2209 à 23 rubis, battant à 18000 bpm. Avec seulement 2,9 mm d’épaisseur, le 2209 était un des mouvement mécanique parmi les plus plats au monde. De 1961 à 1975, autour du mouvement 2209, la Fabrique conçoit et produit, sous la marque Vimpel (Вымпел), une gamme de modèle extra-plat qui aura un immense succès, et qui sera rebaptisé à partir de 1964 Poljot de Luxe.

Publicité pour une Poljot 2209 type "de luxe"
Publicité pour une Poljot 2209 type « de luxe »


Cette montre a reçu de nombreux prix, dont celui de la foire internationale de Leipzig en 1963. Le modèle n’a pas seulement été fabriquée à Moscou (sous les marques Vympel et Poljot), mais aussi dans la Fabrique de Montres de Minsk (sous les marques Vympel et Luch). Voici mon exemplaire (mais j’ai depuis poli le verre…)

En 1964, toutes les montres produites par la Fabrique deviennent des Poljot (selon le principe: une usine = une marque) et Poljot devient une référence en termes de montres mécaniques, elles sont alors considérées parmi les plus durables et résistantes au monde.
En 1965, la production d’une mécanisme ultra-mince, le Poljot 2200, confirme le haut niveau de compétences des concepteurs et des techniciens de l’usine.
En 1971, la Fabrique a produit 2,5 millions de montres-bracelets, et 1,6 millions ont été exportés vers 63 pays différents.
En 1972, la Fabrique a augmenté sa production de montres-bracelets mécaniques jusqu’à 2,7 millions. Jusqu’à 70% de la production est vendue à l’exportation. Pour satisfaire les exigences des clients étrangers, la Fabrique entame en 1972 la production de nouveaux modèles de montres à partir de calibres de la série 26, améliorés (et portant dès lors la lettre distinctive « H »: 2609H, 2614H, 2616H, etc.). Les concepteurs, technologues et des stylistes de Poljot avaient accordé une attention particulière à leur fiabilité et à leur « réparabilité ».

Une montre de la série 26**H (ici 2627H/1681518) sur la couverture du catalogue Poljot 1977
Une montre de la série 26**H (ici 2627H/1681518) sur la couverture du catalogue Poljot 1977

En 1976, la Fabrique commencé la production de nouvelles montres-bracelets avec une fonction chronomètre: les chronographes du modèle 3133. Pour ce succès, le personnel de l’usine a reçu une récompense de l’Etat.
Au début, ces chronographes étaient destinées aux officiers de la marine (ce qui explique leur marque: Okean). La production de ces montres s’est ensuite étendues à toutes les forces armées et, plus tard, en 1983, les simples citoyens pouvaient se les acheter.

À la fin des années 70 et au début des années 80, la fabrique entame la production de calibres à quartz. Ces mouvements à quartz ont été principalement exportés vers les pays d’Asie du Sud: Hong Kong et Singapour. En quelques années, l’exportation atteint jusqu’à 3 ou 4 millions de pièces par an. Mais au cours des années ’70, la Fabrique garde sa position de leader dans le domaine de la montre-bracelet mécanique pour homme.

Les nouveaux bâtiments de la Fabrtique (à gauche) en 1984
Les nouveaux bâtiments de la Fabrique (à gauche) en 1984

Sur un catalogue de 1988 du la fabrique, la présentation de ses machines de pointe:

Après l’effondrement de l’URSS, la Première Fabrique de montres de Moscou Poljot devient, en 1992, une société anonyme. L’avenir de Poljot ne semblait pas particulièrement menacé en raison de sa vaste expérience et de son esprit d’innovation. Poljot est resté quelques années un leader parmi les producteurs de montres-bracelets haut de gamme homme, un producteur de mouvements uniques, tels que le mouvement de chronographe 3133, le mouvement d’alarme « Signal » 2.612 et, fierté de l’usine, le chronomètre de marine 6MX.
A la fin des années 1990, la production de mouvement à quartz cesse, ainsi que l’exportation des ébauches de base: la Fabrique se concentre sur des marchés de niche et ses produits phares.
En 2000, d’anciens employés de Poljot fondent à Moscou, dans les bâtiments mêmes de l’usine Poljot, la société Volmax. En 2002, Volmax dépose trois des plus célèbres marques horlogères russes, Aviator, Bourane et Sturmanskie. La plupart des montres Volmax utilisent mouvements Poljot d’autres des mouvements Suisse ETA.
En 2000-2003, plusieurs nouveaux mouvements à complications introduites, y compris le chrono 31679 avec phases de lune et elle reprend le nom de Première Fabrique de montre de Moscou en 2003, laissant la marque Poljot pour le marché intérieur. La même année, la Fabrique commence la production, pour la société Volmax, des « Stourmanskie », « Bourane » et « Aviator ».
En 2005 la société Maktime Watch Factory Ltd achète la ligne de production des mouvement chrono 3133 à la Fabrique Poljot en difficulté. Les ouvriers qui travaillent à cette ligne de production deviennent donc les employés de la société Maktine. Maktime avait été fondé en 1996 par les frères Makarov (dont un ancien directeur des ventes de Poljot) dans le but initial de fabriquer des montres à partir de boîtiers fabriqués pour eux et de mouvements achetés aux Fabriques historiques. En 2003, Maktime avait déjà achète la majorité des actions de la Troisième Fabrique de montres de Penza (Zarya), et en 2006, Maktime entrait dans le capital de la Deuxième Fabrique de montres de Moscou (Slava). Les mouvements Maktime animeront les montres Volmax et Poljot, mais aussi Tsedro, Denissov et Record.

Dans la chaine de production Maktime: les machines suisses achetées par Poljot à Valjoux pour la production des mouvement 7734
Dans la chaine de production Maktime: les machines suisses achetées par Poljot à Valjoux pour la production des mouvement 7734
La Fabrique à sa fermeture
La Fabrique à sa fermeture

Après la chaine de fabrication des chronographe 3133, Poljot a cédé la chaîne de fabrication des calibres automatiques 2616 par Vostok. A l’image de Volmax, d’autres sociétés ont été formées par des (anciens) employés de Poljot, souvent hébergées au sein de l’usine Poljot et partageant son outil de production: Denissov, Moscow Classic, Poljot Elite, Poljot Kronos et Poljot Trade. Poljot International (ou Poljot-V Gmbh) est ainsi créée par Alexander Shorokov en 1993, en Allemagne (la société est basée à Alzenau, en Hesse). Elle a emboîté des mouvements Poljot/Maktime 3133, Poljot/Vostok 2616 mais aussi des Slava, des Sea-Gull ST80 et des clones chinois de l’Unitas quand Molnija en a stoppé la fabrication. C’est de Poljot international qu’est issu la société CCCP Watches, (mais A. Chokorov l’a vendu à une société hong-kongaise). Les CCCP emboîtaient à l’origine des calibres Slava et Poljot, elles n’emboîtent plus que des mouvements chinois.
Vers 2009, Poljot n’était plus qu’un emboîteur qui produisait les Alarm Tonneau, Albatros, Blue angels, Dolphin, Kirovskie, Navigator, Ruslan et Strela. A ce moment, il existait d’anciens stocks de mouvements ou de montres assemblées par Poljot, que la société a dû céder à des tiers pour renflouer sa trésorerie. On a vu surgir des distributeurs qui vendaient ces montres « new old stock » ou qui emboîtent les mouvements (souvent basés en Allemagne, comme le controversé Juri Levenberg qui fabrique « ses » Strela).

Mais à partir de 2010, la Première Fabrique de montre de Moscou Poljot, en tant que société, cesse toute production (même si, dans les bâtiments de la Fabrique, Maktime, Vostok et Volmax continuent leurs activités). La société est alors la propriété de Serguei Pougatchev, un magnat de la finance surnommé un moment « le banquier de Poutine ». Celui-ci commença a avoir des ennuis lorsque la l’Agence gouvernementale russe d’assurance-dépôts (DIA) l’a accusé d’avoir détourné à son profit les fonds de la Mezhprombank, y compris les quelques 700 millions de dollars d’argent public que la DIA avait versés pour renflouer ladite banque. Pougatchev s’enfuit en 2015 en Angleterre, puis en France, tandis que ses biens étaient saisis en Russie et que sa femme (une descendante de Léon Tolstoï) se plaignait à la presse people qu’il était difficile de vivre avec seulement 15.000 dollars par semaine…