Histoire de la Fabrique de Montres de Tchistopol

Lorsque l’armée allemande envahit l’URSS en 1941, la 2e Fabrique de montres de Moscou se concentra sur la fabrication de fusées et minuteries pour obus. Avec le départ de nombreux travailleurs pour le front, le personnel intégra massivement des femmes et même des enfants.

Le matin du 15 octobre 1941, deux semaines après le début de la bataille de Moscou, l’ordre d’évacuation parvint à l’usine, surprenant semble-t-il la direction et les ouvriers. Environ 170 wagons ont été chargés avec le matériel nécessaire pour produire les fournitures militaires mais aussi les machines servant à la fabrication des Mouvements de montre de type 1. 488 ouvriers de l’usine accompagnaient cette cargaison vers son nouvel emplacement: Tchistopol, une petite ville située au Tatarstan.

Tchistopol avant la Révolution d’octobre
La route de l’évacuation, de Moscou à Tchistopol

Tchistopol était situé sur la rivière Kama. Le voyage devait se faire en partie par bateau mais un hivers particulièrement rude avait gelé la rivière Kama et les barges étaient bloquées à Kazan. Kazan, en passe de devenir un grand centre de production d’armement, était engorgée. La première péniche arriva dans la ville le 10 novembre 1941.
Une petite partie de l’équipement a pu cependant être transportée à Tchistopol, en partie à dos de chevaux, par moins 40°dans des conditions épouvantables.
La petite ville de Tchistopol n’était pas prête à accueillir une telle industrie et les début de la production se fit dans l’improvisation. Ce n’est qu’après un moment que les autorités locales furent en mesure d’installer les travailleurs et leurs équipements dans le seul bâtiment approprié disponible : une ancienne distillerie désaffectée. Et encore à peine le quart des installations purent-elles y être installées.

La production commença début 1942 dans ce qui fut baptisé « Fabrique 835 » : horloges de chars, fusées d’amorçage pour grenades antichars, mines à retardement, jauges de carburant pour avions, éléments de torpilles et enregistreurs hydrométéorologiques.
La production de montre de type 1 (pour les montres K43) repris aussi à Tchistopol : c’était de précieux outils de chronométrage et de synchronisation pour les officiers au combat. L’usine recruta des habitants de la région (y compris des adolescents), ainsi que des civils évacués des régions occupées ou menacées.

Anastasia Mikhaïlovna, une travailleuse de Tchistopol qui fut décorée pour son « Travail courageux pendant la Grande guerre patriotique »
Document établissant qu’une ingénieur agronome, qui a rejoint la fabrique horlogère de Tchistopol en 1942, n’a pas respecté les consignes de travail, commettant ainsi le délit contre l’État, ce qui était alors passible de la cour martiale

Une fois que l’armée allemande battue devant Moscou, un retour de la fabrique vers la capitale fut décidé. Cependant, une partie de l’équipement et des travailleurs (dont tous ceux originaires de la région) resta à Tchistopol, et l’usine poursuivit sa production d’éléments de munitions. Après la guerre, les besoins en munitions baissèrent vertigineusement, et la fabrique de Tchistopol se reconvertit dans la production de mouvement de type 1 emboitée localement dans des montres de gousset ou des montres bracelets.

Une K-43 emboitant un Type-1 de la Fabrique de Tchistopol (collection B. Hanoï)

En 1949, la fabrique de Tchistopol se lance dans la production de Pobeda, mais aussi dans la création d’horloges de navire extrêmement résistantes aux chocs et dotées de grands cadrans luminescents (au radium donc très radioactifs).

Une Pobeda K-26 « Douze rouge » produite à Tchistopol (collection M. Gordon)
Un horloge de marine (première génération) de Tchistopol

voir ici pour l’histoire et les modèles des horloges de marine de Tchistopol

La Fabrique en 1947

Dans les années 1950, commence la production de montres bracelet de marque Kama (du nom de la rivière, conçues pour être très résistantes aux chocs et à l’eau), des Mir, des Saturn et des Spoutnik.

voir ici pour l’histoire et les modèles des montres Spoutnik

Le 12 avril 1961, Gagarine devient la première personne dans l’espace. Il fit le tour de la terre dans un navire appelé Vostok-1. En 1962, ce qui était encore la « Fabrique 835 » commença à produire des montres de marque «Vostok». En 1964, avec le changement général de dénomination (une usine/un nom/une marque), la fabrique pris le nom de Fabrique de Montres de Tchistopol et toutes ses montres prirent la marque Vostok.
Vostok était l’unique fabriquant de montres à précision chronométriques de l’URSS : les Vostok précision.

Une Vostok précision

en savoir plus sur les Vostok précision

En 1965, la fabrique fut désignée comme fournisseur officiel de montres pour le Ministère de la Défense de l’URSS. Cette année marqua également la création de la célèbre montre Komandirskie. Les montres destinées à un usage militaire étaient marquées par « ЗАКАЗ МО СССР », signifiant « Par Ordre du Ministère de la Défense de l’URSS ». Ces modèles étaient sujet à un contrôle qualité rigoureux et vendues exclusivement par les magasins Voentorg, réservés au personnel militaire.

Une des premières Komandirskie

en savoir plus sur la naissance et les premiers modèles des Komandirskie

C’est en 1968, que Vostok a créé la célebrissime Amphibia, une autre vedette sur FMR. Mikhail Fedorovich Novikov et Vera Fedorovna Belova, deux ingénieurs en chef employés par Vostok dans les années 1960, ont crée une montre de plongée fiable de 200 m pouvant rivaliser la Fifty-Fathoms et la Rolex Submariner de l’époque. L’idée de base, géniale, de l’Amphibia, était de ne pas lutter contre les contrainte physique (la pression augmentant avec la plongée) mais de l’utiliser. En comprimant la montre, la pression assurait elle-même l’étanchéité. Cette conception (inspirée des techniques de la cosmonautique) simplifiait la production.

En 1975, une Amphibia s’est rendue dans l’espace lors de la première expédition à la station spatiale Saliout-4, au poignet de l’ingénieur de vol Georgiy Mikhailovich Grechko qui a rejoint la station dans l’équipage du vaisseau Soyouz-17. Les montres Vostok devinrent si populaires que le nom de l’usine fut officiellement changé en Vostok en 1969.

L’équipage de la mission soviéto-cubaine adoptera également des Amphibia
Une Amphibia au catalogue 1976

voir ici en savoir plus sur les Amphibia en (deuxième partie)

Voici une vidéo bien connue de la fabrique Vostok à son heure de gloire, en 1975
https://www.youtube.com/embed/mFmgb4xJtu0

En 1980, la fabrique produit  4,5 millions de montres, toutes de qualité.
L’effondrement de l’URSS a durement touché Vostok. Au cours des dernières années, à la fin des années 80 et en 1992, la fabrique revient à la République du Tatarstan.
Transformée en société par actions, elle exporte alors massivement sa production, essentiellement vers les USA et l’Italie dans le cadre de différents partenariats (Vremir, Ostwok, Dniepr-Vostok, etc.)
En 2003, son capital est en partie repris par la société lituanienne Koliz qui emboitait des mécanismes Vostok dans des montres de marque Vostok Europe (par la suite, Vostok Europe a emboité des mécanismes japonais). Malgré l’introduction des nouvelles collections Komandirskie et Amphibia, Vostok fit faillite en 2010, mais la fabrique ne cessa jamais sa production et elle fut reprise.

Pour en savoir plus
Une visite au musée horloger de Tchistopol: cliquer ici
Une visite dans la fabrique de Tchistopol: cliquer ici

Sources principales: safonagastrocrono.club et bellofuturo.livejournal