Les éphémères manufactures de la grande Catherine

Lorsque l’un des premiers modèles de montres de poche,”l’œuf”, a été présenté en cadeau au tsar Ivan le Terrible, il a réagi avec suspicion, y voyant quelque chose de “démoniaque”…
Mais en 1764, à l’initiative du comte Grigory Grigorievitch Orlov, l’impératrice Catherine II, la « Grande Catherine », qui continuait l’oeuvre de modernisation de la Russie entreprise par Pierre le Grand, publia un décret sur la création d’usines horlogères à Moscou et à Saint-Pétersbourg.

Catherine II
Le comte Orlov

Ces manufactures devaient être subordonnées au Collège des Manufactures.
Ce Collège (en fait, un ministère) avait été un de ceux fondés par Pierre le grand, comme premières institutions politico-administratives modernes de Russie
Les étrangers ont été invités à diriger les usines.
L’État leur prêtait en espèces et sans intérêt, pour une période de dix ans, un montant de 18.000 roubles pour l’aménagement des usines de Moscou et de Saint-Pétersbourg.
Ils étaient autorisé, dans la première année d’existence des manufactures, d’importer des machines sans payer de droits ou de taxes.  Joseph Basilier (horloger), Robert Jurine (maître en fabrication de boîtiers) et Abraham Sando (sculpteur) vinrent de Genève pour créer la manufacture horlogère à Saint-Pétersbourg, tandis que l’horloger Marc-Conrad Fazy, vint pour créer la manufacture à Moscou.

Marc-Conrad Fazy était né le 9 janvier 1740 à Genève. Son père était un fabricant d’indiennes (tissus imprimés) qui avait fuit les persécutions dont le Briançonnais et s’était réfugié à Genève. Marc-Conrad a travaillé comme apprenti avec Berthoud à Paris, puis à Stockholm, Moscou et Saint-Pétersbourg. Ses deux frères Jean Fazy (1734-1812) et Jean-Salomon (1737-1794) ont travaillé comme horlogers et bijoutiers. Les trois frères ont produit pour la cour suédoise et la tsarine russe Catherine II à Saint-Pétersbourg et à Moscou.
Marc-Conrad revint alors à Moscou pour y fonder la manufacture. Il pris Franeda Ferrier et son frère Jean comme associés.

Les manufactures furent confrontées à de grandes difficultés, et subirent d’importantes pertes financières. Une des principales raisons était la difficultés d’obtenir des équipements et des travailleurs qualifiés.
En 1764 par exemple, le gouvernement français s’opposa au départ de spécialistes. Fazy avait mandaté un certain Fermier à Paris, à qui l’ambassadeur russe, le prince Golitsyne, devait donner 6.500 roubles de l’État, pour embaucher des spécialistes. Les autorités françaises firent carrément arrêter Fermier avec les 11 artisans qu’il avait embauchés, et confisquer tous les outils et toutes les machines qu’il avait achetés. Après un certain temps, Fermier a été libéré, après s’être engagé par écrit à ne pas quitter Paris. Le matériel confisqué n’est pas parvenu complètement à la Russie.
Une histoire similaire s’est produite avec l’agent de l’usine de Saint-Pétersbourg, Sando, envoyé en Suisse.

Le « quartier allemand » de Moscou

La manufacture de Moscou était située dans le « quartier allemand » (la Nemetskaïa sloboda, Немецкая слобода), au nord-est de la ville sur la rive droite de la rivière Iaouza.  
Elle comptait trois forges et un tour. En 1768, dix artisans étrangers y étaient employés, pour la plupart venus de France.
La production a commencé en 1767.
En 1773, les apprentis de l’usine ont été certifiés, qui étaient sous contrat pendant six ans avec l’aide de l’État. Le Collège des Manufacture a chargé son émissaire, Priklonsky, de vérifier le travail accompli. Une commission formée des meilleurs horlogers de la guilde de Moscou a reconnu que «les étudiants travaillent avec du bon art, ils sont capables de fabriquer des montres». Étaient mentionnés les produits de l’usine, dont 142 mouvements de montre de poche, 4 mouvements d’horloge murale avec répéteurs, 3 montres de poche avec cadrans en émail, ainsi que de nombreux accessoires de montre.
En fait, la manufeacture de Moscou a cessé d’exister en 1778. Les crédits de l’État n’était pas été remboursée, alors que des clients prestigieux comme les princes Meshchersky et Chakhovsky devaient à la manufacture des sommes dépassant considérablement la dette de l’État.
Bientôt, il n’y eut plus d’argent pour payer les salaires des apprentis. Ce fut la faillite : les étudiants furent libérés et la maison achetée pour Fazy vendue aux enchères au bénéfice du Trésor.
En 1779, Fazy tenta d’organiser une nouvelle manufacture horlogère, pour laquelle il demande l’autorisation de partir à Genève pendant un an pour trouver des artisans. De retour, il achète une maison, toujours dans le quartier allemand, avec l’argent reçu au moyen des billets à ordre dus par le  prince Mechchersky, mais il n’a jamais réussi à ouvrir une usine de montres.
C’était la fin de la première tentative d’implanter une industrie horlogère en Russie.

S’il existe quelques exemplaires de montres signées « Fazy Frères », il ne semble exister qu’une seule montre signée « Fazy à Moscou », autrement dit produite par la Manufacture d’état:

Marc-Conrad épouse Marie Susanne Casal, originaire de la cité-état de Hambourg. Ils auront six enfants dont Théodore-Michel Fazy, né en 1773, qui sera le successeur de son père à Moscou, et qui fabriqua également des chronomètres de marine.
Car si la manufacture cessa ses activité en 1778, Marc-Conrad Frazy resta à Moscou et continua ses activités d’horloger. Il est mort à Moscou en 1812 à l’âge de 72 ans

Anecdote intéressante, Marc-Conrad Fazy est directement lié à l’un des plus célèbres symboles de la Russie : les carillons de la tour Spasskaya du Kremlin.

La cathédrale Saint-Basile et la Tour Spassaya

En 1776, Marc Fazy et ses apprentis ont installé une horloge anglaise complexe sur la tour Spasskaya, qui jouait 24 mélodies. Le mouvement a également été modernisé, et pour la première fois la montre a commencé à afficher l’heure sur quatre cadrans orientés vers les quatre points cardinaux. L’horloge d’origine a servi jusqu’au milieu du 19e siècle.

Source principale: https://german242.com/w/fazy/fazy.htm