1. Genèse
Après le limogeage de Khouchtchev, la nouvelle direction du Parti communiste accepte la politique du maréchal Rodion Malinovski (Родио́н Я́ковлевич Малино́вский), alors ministre de la défense, pour l’établissement d’une armée autonome et professionnelle, ainsi que son concept de développement équilibré des forces armées (Khrouchtchev misait tout sur les missiles stratégiques). C’est dans ce contexte que va naître, en 1965, à l’initiative de Malinovski, la montre Komandirskie (Командирские, « Commandant »)
Dans une interview accordée à l’hebdomadaire Аргументы и Факты (arguments et faits) relevé et traduite par notre maître à tous, Valentina Belova (Валентина Белова) la directrice du département design de la Fabrique de Montres de Tchistopol raconte :
« En 1965, le ministère soviétique de la Défense a passé commande de montres dotées d’un mouvement antichoc et d’aiguilles luminescentes pour l’état major. Le développement de la nouvelle montre a été supervisé par le ministre de la Défense de l’URSS, Rodion Malinovski, lui-même.
Un tel niveau de supervision a fait peser une lourde responsabilité sur les employés de la manufacture.
Nous avons développé cette montre dans un moment difficile – Pas de plaisanterie, le maréchal Malinovski lui-même avait ordonné que la montre devait être la plus précise (possible), car « la guerre a besoin de ponctualité », et la plus résistante, la nouveauté était un cadran avec des chiffres lumineux, mais le principal fait saillant est le mécanisme de stop-seconde, ou, en d’autres termes, un chronomètre. (On dit que le développement de ce calibre l’a été sur les plans des mécanismes utilisés dans les mines militaires.)
Notre groupe a travaillé sur la conception du design et nous avons proposé plus de 50 options. De toutes ces options celle qui avait la préférence du Ministre était le cadran avec l’étoile rouge et un boîtier rond. Pour cela nous avons reçu un prix de 50 roubles […] ».
J’ai trouvé un article sur une Valentina Belova employée par la Fabrique de Montres de Tchistopol (mais il s’agit peut-être d’une homonyme). Valentina Belova était née à Tchistopol mais la famille avaient suivi le père qui, en 1941, s’est engagé pour développer les territoires finlandais conquis par l’URSS dans la « guerre d’hivers ». L’attaque hitlérienne les surprends donc à Vyborg. Il sont évacués à Léningrad (où il contribuent aux travaux de fortification), puis à Tchistopol. Belova travaille dans un magasin de boutons tout en étudiant et, en 1948, elle entre à la Fabrique de Montres de Tchistopol. Elle y a travaillé jusqu’en 1970.
Le mouvement des Komandirskie était conçu pour elles: le 2234 à remontage manuel, 18 rubis, avec affichage de la date, et surtout la fonction stop-seconde utile aux militaires pour le chronométrage.
La différence est (subtilement) visible sans démontage, et (clairement) visible au démontage au niveau du pont de la roue d’échappement
La Komandirskie représentait ce qui se faisait de mieux à l’époque en URSS : étanche (dans le sens où elle résistait aux projections d’eau et à la transpiration), résistante, précise, chronomètre (avec un stop-secondes) et pour un coût de fabrication contenu.
Le choix du nom, « Commandant », est plus chargé historiquement qu’il semble. « Commandant » n’était pas qu’un simple grade, comme « capitaine » ou « colonel ». Dans un esprit démocratique, antimilitariste et révolutionnaire, l’Armée rouge ne connaissait à l’origine que trois fonctions: il y avait les soldats rouges, il y avait les commissaires chargés du moral et de la formation des soldats (ainsi que, lorsque l’Armée rouge employait des officiers de l’ancien régime, de surveiller ces derniers et contre-signer leurs ordres), et il y avait, enfin, les commandants.
« Commandant », ce n’était pas un grade mais une fonction. Hors de ses fonctions, hors du service, le commandant n’était (en principe…) qu’un soldat rouge.
Il y avait dont des commandant de bataillon, des commandant de régiment, de brigade, de division, d’armée. Avec le goût bien soviétique des acronymes, cela devenait des KomBat, KomReg, KomBrig, KomDiv et KomArm.
Cela va peu à peu changer (en 1924, 14 catégories de service, obtenues en fonction de l’expérience et de la qualification, dont définies; en 1935 quelques grades sont rétablis, d’autres en 1940, et en 1943 le terme d’officier est à nouveau utilisé), mais dans l’imaginaire historique soviétique, la figure du « commandant rouge » reste centrale.
Malinovksi lui même avait été « KomBat » à l’issue de la guerre civile. Diplômé à l’Académie militaire Frounzé en 1930, il avait un des principaux conseillers militaires de la République pendant guerre civile espagnole. Malinosvki est un des généraux qui s’illustrent lors de l’attaque hitlérienne: son corps d’armée de trois divisions, qu’il avait bien préparé et déployé, ne se débande pas. Il résiste en ordre, recule en combattant, et perce même un encerclement. Il prendra des responsabilités de plus en plus hautes pendant la guerre, dirigera avec compétence de nombreuses batailles (Kharkov, Stalingrad, Budapest). Ce sont les soldats de Malinovski qui, les premiers, feront la jonction avec les Américains, sur l’Elbe, en 1945. C’est ensuite lui qui commandera l’offensive finale contre le Japon.
Entré en 1946 au comité central du Parti communiste, ministre de la défense en 1957, il contribuera limogeage de Khrouchtchev (accusé d’aventurisme suite à la crise des missiles de Cuba) et son remplacement par Léonid Brejnev. Après cela, et jusqu’à sa mort en 1967, le maréchal Malinovski reste à la tête des forces armées soviétiques.
2. Des montres militaires? Oui et non…
La Komandirskie a bien une origine militaire et c’est pourquoi dans la partie inférieure du cadran des premiers lots de production, et de nombreux lors suivants, est visible l’inscription « Заказ МО СССР »: « par ordonnance [sur ordre] du Ministère de la Défense de l’URSS ».
Cette origine et cette inscription a donné naissance à la légende de la Komandisrkie comme montre réservée aux militaires. En réalité, outre les exemplaires distribués comme récompense, les Komandirskie « ZAKAZ » étaient vendues les magasins du Voentorg, les magasins réservés aux militaires et à leurs familles).
En savoir plus sur les Komandirskie « Zakaz »
3. Les Komandirskie Tchistopol
Les Komandirkie Tchistopol sont les premières Komandirskie.
Elles diffèrent des modèles suivants par l’absence de la lunette et les cadrans plus sobres.
Dans la partie inférieure du cadran, il y a toujours une étoile rouge, souvent décolorée par le temps. Le mot Tchistopol, la ville où ces montres ont été produites, est souvent (mais toujours) également présent.
Les Tchistopol n’étaient produites que pour le marché intérieur et non pour l’exportation. Pour cette raison, le marquage est toujours en lettres cyrilliques.
Le matériau luminescent a été appliqué à la main jusqu’au début des années 1980. La luminosité des premières est souvent supérieure à celle des productions ultérieures…
On l’a vu: le mouvement des Komandirskie était le 2234 à stop-seconde.
Cependant, jusqu’au milieu des années 1970, ce mouvement était marqué «2214», le même que la version sans stop-seconde.
Beaucoup de Komandirskie Tchistopol honnêtes ont été suspectées de réemboîtage à cause de cela.
Par la suite, il a été logiquement marqué comme 2234.
Les numéros de date sont toujours rouges, sauf dans les modèles commémoratifs de 1985 qui peuvent avoir des numéros de date noirs.
Les premiers modèles Komandirskie Tchistopol ont été produits avec un boîtier rond de type 381 (chromé) ou 383 (doré) avec un petit redan pour la tête de couronne.
Au début des années 70, apparaît un boîtier carré de type 781 (783 pour la version dorée),
Au milieu des années 70, apparaît le boîtier rond et élancé type 441 (442 pour la version dorée)
A la fin des années 70 des boîtiers ovales type 791 (793 pour la version dorée):
La dernière génération de Tchistopol (fin ’70 et première moitié des années ’80 avait un boîtier de type 1391 (1393 pour la version dorée):
Tous ces boîtiers sont donc en laiton chromé ou en laiton doré, ils pèsent environ 100gr (alors que les Amphibian ont un boîtier d’acier).
Leur entre-cornes est toujours de 18mm.
Leur fond sont toujours en acier inoxydable avec bague de serrage.
Le verre est toujours en plastique.
Les Tchistopol ont tous le libellé « Заказ MO CCCP » mais, sur ces premiers modèles, la mention est souvent peu visible car imprimée très près du bord du cadran.
Les aiguilles des tout premiers modèles sont dorées et de type « cravate » (flèche allant en s’évasant), les mêmes montées sur les premières Amphibian.
Au début des années 70, des aiguilles similaires à celles de la production actuelle Komandirskie ont été utilisées, d’abord toujours dorées puis de couleur assortie à celle du boîtier.
La trotteuse est des deux types illustrés dans les images ci-dessous.:
Les Komandirskie Tchistopol ont été produits jusqu’au milieu des années 80.
Elles ont été remplacées par le Komandirskie plus connues (et parfois les seules connues…) avec le fameux boîtier 341 à lunette, apparu en 1987. C’est aussi à ce moment (circo 1985) qu’elles sont devenues un produit d’exportations de plus en plus massives.
Dans la seconde moitié des années 80 sont apparues des Komandirskie marquée « Сделано в СССР » (« Fabriqué en URSS »), mais plusieurs modèles restaient marqués « Заказ МО СССР ».
Elles ont alors emboîté des 2414 et 2414A. Les modèles se sont dès lors diversifiés avec de nouveaux boitiers (comme le boitier 331 avec une couronne à deux heures). Au tout début des années »90 apparaissent des Komandirskie qui embarquent une couronne d’Amphibian vissée, et parfois la trotteuse caractéristique de l’Amphibian (avec le cercle luminescent).
Ci-dessus: Une des « premières dernières » Заказ: le modèle blanc n°341201. Première car elle date de 1987, première année de production du boîtier 341 qui l’accueille et dernière car c’est le dernier type de Заказ avant la disparition de l’URSS.
Voir ici les différentes modèles de Komandirskie
Sources principales:
http://vostokamphibiacccp.altervista.org (voir le dossier Komandirskie)
WUS et FMR (particulièrement les post de Jurmala)