Dans la Russie impériale, avant la révolution d’Octobre, la production horlogère russe était presque exclusivement composée d’horloges dites « paysannes », de conception primitive. Elles étaient produites en assez grand nombre par de petites fabriques comme Reinina (Рейнина), Dimitriev (бр. Дмитриевых), Rodionov (Родионова) et quelques autres, ainsi que des producteurs artisanaux comme l’artel Charapovskaya (Шараповская артель ), le Volokolamsk uyezd (Волоколамский уезд) etc.
Les horloges plus complexes étaient importées, ainsi que les montres et les mécanismes de montres, par des horlogers prestigieux comme Kahn, Buhre et Moser.
Après la révolution et la guerre civile, ce qui restait d’entreprises et ateliers horlogers ont été collectivisés et mis en réseau sous la supervision du Trust d’État des Mécaniques de Précision, le Gostrust Tochmekh (Гострест Точмех).
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Ce sont les entreprises Kahn, Buhre et Moser qui allaient principalement servir de base aux premières productions horlogères soviétiques.
1° Paul Karlovitch Buhre (1810-1882) et Paul Pavlovitch Buhre (1842-1892)
L’histoire de la société horlogère Buhre commence en 1815 à Saint-Pétersbourg, où s’établit Karl Buhre (1810-1882) qui avait quitté Revel avec son fils, Pavel (Paul) Karlovich. Celui-ci a grandi avec l’entreprise horlogère de son père et est finalement devenu assistant et continuateur de son entreprise. Son fils aîné, Pavel Pavlovich Buhre, devient l’assistant de son père à l’âge de 26 ans, en 1868.
En 1874, Pavel il acquiert une grande manufacture horlogère au cœur de l’industrie horlogère suisse, dans la ville de Le Lockle. En 1880, il était évaluateur au Cabinet de Sa Majesté Impériale, technicien à l’Ermitage impérial et fournisseur de la Cour suprême. Pour développer son activité, un magasin a été ouvert à Moscou, puis à Kiev.
Pavel Pavlovitch Buhre a hérité de l’entreprise en 1882, mais à comme il n’avait pas d’héritier, après sa mort, dix ans plus tard, la société a été vendue à un Suisse, Jean-Georges Pfund et à un Français Paul Girard. En 1899, l’entreprise obtient le titre de fournisseur de la cour impériale. Pendant les 30 années précédent la Révolution, 15.000 montres ont été achetées par Cabinet du Tsar, plus de 80% provenaient de Buhre. Ces montres cadeaux étaient des montres militaires et ferroviaires de première classe et les premières véritables montres-bracelets au monde. Ces montres avaient été commandées par la Direction générale de l’artillerie en 1904 dans le cadre de la guerre russo-japonaise.
Il y avait tellement de montres, horloges et chronographes Buhre en Russie que ce son nom est presque synomyne de montre. Dans les seules oeuvres de Tchékov, il est plus de fois 20 question des montres Buhre. Les experts des montres anciennes ont du mal à expliquer pourquoi les montres de Buhre étaient meilleures que les montres d’autres entreprises. Certains d’entre eux, comme Buhre, avaient leurs propres usines en Russie, où les montres étaient assemblées à partir des mécanismes importés de l’étranger. À une époque où, en tant d’accessoire de luxe, les montres devenaient nécessaire, « Pavel Buhre » vendait des montres pour tout le monde. La gamme des montres «Pavel Buhre» commençait à partir de deux roubles seulement. La société détenait 50% du marché russe des montres bon marché
Pour les acheteurs plus aisés, Buhre proposait les mêmes mécanismes ont été insérés dans les boîtiers en argent et en or. Des mécanismes complexes (répétition, chronographe, calendriers) ont été commandés auprès des sociétés horlogères suisses les plus réputées. Et en 1916 Pavel Buhre a obtenu un brevet suisse n ° 74144 pour un mécanisme de chronographe de sa propre conception. « Pavel Buhre » a reçu les plus hautes distinctions lors de nombreuses expositions nationales et internationales, notamment aux Expositions mondiales à Paris: en 1889 – une médaille d’argent, et en 1900 – une médaille d’or.
La révolution de 1917 a mis fin à l’activité de Pavel Buhre en Russie. Cependant, les montres Buhre elles-mêmes étaient populaires auprès du nouveau régime. Sur le mur du bureau de Lénine, au Kremlin, il y avait une horloge Buhre. Staline et, pendant longtemps, Nikita Khrouchtchev avaient une montre Buhre.
Et c’est le magasin principal Buhre qui allait devenir celui du Gostrust Tochmekh.
Il est à noter que la firme «Pavel Buhre» n’a pas cessé son existence en 1917. Les principaux sites de production, situés en Suisse, ont permi la continuité et l’entreprise. Et le travail normal a repris après le transfert du siège de Petrograd au Locle. Bien que les premières années aient été très difficiles avec la perte du marché principal, la Russie, l’entreprise a non seulement survécu, mais elle s’est développé au point de devenir l’une des principales sociétés horlogères de Suisse. Il est facile de distinguer les Paul Buhre de la période suisse : la mention sur le cadran est en caractère latin.
2° Heinrich Moser (1805-1874)
Heinrich Moser a grandi dans une famille d’horlogers de Schaffhausen. Son grand-père ainsi que son père étaient des horlogers de la ville du bord du Rhin. C’est auprès de son père qu’il apprit, entre 1820 et 1824, le métier traditionnel d’horloger. Après 1824, il s’installa au Locle afin de parfaire ses connaissances dans les ateliers de maîtres horlogers. Opposé aux règles corporatistes représentaient, il réussit à débuter une petite affaire prospère de vente de pièces puis un atelier d’horlogerie prospère dans sa ville natale. Mais quand le conseil municipal de Schaffhausen lui refuse le poste honorifique d’horloger de la ville, Heinrich Moser émigre alors à Saint-Pétersbourg en novembre 1827. Il y fonde fin 1828 l’entreprise Heinrich Moser & Co. En l’espace de quelques années, il développe la vente de ses montres au Japon, en Chine, en Perse et au Turkestan, en Sibérie et au Kamtchatka. Vers 1845, il domine le commerce horloger de toute la Russie et devient ainsi le leader incontesté du secteur.
Les affaires de Moser étaient florissantes, sans doute qu’il veilla toujours à ne vendre que des montres d’une qualité parfaite: nulle montre ne pouvait passer le comptoir sans avoir été vérifiée par ses soins ou par l’un de ses représentants. A l’époque, Moser employait en Russie 50 personnes, dont des horlogers allemands, suisses, russes et suédois. Mais le collaborateur le plus efficace fut sans doute Johann Winterhalter, qui reprit ultérieurement l’entreprise de Moser en Russie.
En 1829, Moser crée au Locle, une fabrique exclusivement destinée à produire des montres pour sa propre distribution en Europe et en Russie. L’assortiment de montres Moser comptait jusqu’à 70 calibres différents. En plus des mouvements de sa propre fabrique, il vendait également ceux provenant de maisons aussi renommées qu’Urban Jürgensen ou Jaeger-LeCoultre. Depuis 1860, il s’était procuré jusqu’à 64 calibres différents, dont 24 complications. La qualité sans compromis de ses montres lui permit de devenir un fournisseur des tsars, de familles princières et de l’armée. Ses montres sont vendues non seulement en Russie mais jusqu’au Japon, en Chine, en Perse, mais aussi en Occident, à Paris et à New York.
A la fin de l’année 1848, il décida de rentrer en Suisse avec sa famille et de s’établir à Schaffhausen en homme d’affaires riche et célèbre. Conscient que la fabrication des boîtes des montres de poche représente souvent un point faible, il ouvre en 1853 un atelier à Schaffhausen, dans lequel une vingtaine d’employés fabriquent notamment des boîtes en argent. Trois ou quatre années plus tard, un deuxième atelier voit le jour. En collaboration avec d’autres personnalités de la ville, il créa toujours en 1853 les sociétés «Schweizerische Waggonfabrik bei Schaffhausen» ainsi que «Schweizerische Industriegesellschaft (SIG) Neuhausen».
Lorsque Heinrich Moser meurt, en 1874, sa deuxième épouse Fanny devient l’une des femmes les plus riches de Suisse. Celle-ci décide, en 1877, de vendre l’ensemble des commerces à Johann Winterhalter, et la manufacture du Locle à Paul Girard. Lors des deux transactions, elle s’assure contractuellement – selon le vœu de son défunt époux – que tous ses successeurs garderont la marque H. Moser & Cie ou Heinrich Moser & Co. Les derniers directeurs suisses de l’entreprise Moser – Cornelius Winterhalter qui a séjourné en Russie de 1908 à 1918 et Octave Meylan de 1910 à 1918 – quittent le pays pour rentrer en Suisse, après la collectivisation des magasins et ateliers Moser. En 1920, les établissement Moser deviennent « Atelier central de réparation de montres » qui, entre 1927 et 1930, sous la tutelle du Gostrust Tochmekh, va produire des montres avec des mécanismes importés. Pendant longtemps encore, les montres Moser sont synonymes de travail de qualité supérieure. Lénine en possédait d’ailleurs une.
En 1923, Rodchenko et Maïakovski réalisent l’affiche pour la vente des montres Moser au GOuM (Государственный универсальный магазин, Magasin principal universel).
La publicité ci-dessous est des mêmes: Un homme doit avoir une montre / Cette montre doit être une Moser / Les Moser se trouvent au Goum
3° Heinrich Kahn (1872-1945)
Heinrich Kahn (Генрихъ Канъ) avait une entreprise prospère et très appréciée à Saint-Pétersbourg, une des principales maisons de commerce horlogères de l’Empire russe et fournisseur à la Garde impériale de montres, médailles et souvenirs. Il y a des montres de poche portant son nom avec une orthographe cyrillique ou latine. Le nom d’Heinrich Kann a des origines allemandes et a été écrit Kahn avant 1917. Heinrich Kann lui-même était un artisan remarquable, avec une profonde compréhension de l’horlogerie.
Les montres de poche fabriquées dans son atelier à partir de mécanismes importés (notamment des Longines) étaient très appréciées. et très recherché à l’époque de la Russie impériale, à égalité avec Pavel Buhre et peut-être mieux que d’autres horlogers locaux d’origine suisse comme Moser, Gabus, Favre-Jacot, etc.
De tous les patrons horlogers de l’ancien régime, Kann fut le seul à non seulement rester en Russie après la révolution d’Octobre, mais a adhérer au projet de nouvelle société. Sa contribution à la naissance de l’horlogerie soviétique est énorme, en particulier en tant que professeur à l’École de mécanique de précision.
Kann publie en 1926 « Une brève histoire de l’horlogerie » (1926) dans laquelle il exhorte les autorités à créer une grande industrie horlogère nationale: « Cependant, nous ne devons pas fermer les yeux sur le fait que l’horlogerie à l’étranger est actuellement à un niveau tel qu’il faudra des efforts considérables pour rattraper son retard. Nous sommes en retard dans l’industrie. Mais ce n’est pas sans espoir, car de notre côté, nous avons l’avantage d’un grand marché intérieur. La consommation actuelle de nos montres, et de toutes sortes de mouvements, est négligeable par rapport à la demande future potentielle. Notre peuple a certainement les capacités et les talents innés nécessaires pour planifier et développer une grande industrie horlogère, fonctionnant parfaitement. À l’heure actuelle, nos artisans ne sont pas d’assez bons horlogers et nous devons les soutenir en leur fournissant les moyens de production modernes et les matériaux nécessaires. Le Gostrust Tochmekh devrait, avant tout, servir les horlogers et répondre à leurs besoins immédiats, en leur fournissant des matériaux pour la fabrication et la réparation de montres à partir de nos propres ressources. Actuellement, c’est leur tâche la plus importante car elle nous permettra de ne pas importer d’autres pays horlogers. Avec cela, je conclus dans l’espoir que mon modeste travail, en collaboration avec les autorités respectives de la Fédération de Russie, se combinera pour faire tout ce qui est en notre pouvoir pour élever et développer certaines des plus belles montres du monde. »
Cela allait devenir une sorte de manifeste pour les années suivantes. Cela a sans doute fortement influencé Andrey Bodrov, directeur de Gostrust Tochmekh, pour faire pression sur le Conseil du Travail et de la Défense, qui allait produire en 1927 la directive historique sur l’établissement d’une l’industrie horlogère en URSS. En 1928, il publie un autre livre de référence : « Les montres et leur application ». Il a travaillé à la Fabrique de Lapidaires de Peterhof, rebaptisée en 1930 1ère Fabrique d’État de pierres techniques (TTK1).
En 1937, il publia un fameux « Guide pratique de l’horlogerie », en quatre parties ( 1937, ONTI-NKTP Léningrad-Moscou, 1937) qui a résisté à l’épreuve du temps et qui est encore utilisé comme référence par les horlogers comme référence. Kahn mourra en 1945.
Sources principales
Pour Paul Buhre :
https://artcorusse.org/pavel-bure-paul-buhre-horloger-russe
https://mus-col.com/en/the-authors/20839
Pour Heinrich Moser :
http://fr.worldtempus.com/article/hmoser-et-cie-une-marque-legendaire-14289.html
http://fr.worldtempus.com/article/hmoser-et-cie-heinrich-moser-14291.html
Pour Heinrich Kann :
https://www.cccp-forum.it/docs/books/TBOSW-Mk2.pdf
https://german242.com/wiki/index.php/%d0%9a%d0%90%d0%9d%d0%aa
Autres:
https://www.kommersant.ru/doc/476663