Durant la période d’industrialisation rapide de l’URSS, lors du second plan quinquénnal (1933-1938) les Soviétiques se mettent à la recherche d’un industriel occidental susceptible de les aider à développer une production horlogère de masse, la production des « Type 1 » sur les vieilles machines achetées d’occasion aux USA ne pouvant suffire.
La Résolution du Conseil du travail et de la défense de l’URSS n ° 292 du 21 avril 1935 Sur l’organisation de la production horlogère dans les fabriques du NKTP [Commissariat du peuple à l’industrie lourde] décide d’accepter la proposition du NKTP d’organiser la production de montres à l’usine n°50 du nom de Frounzé [donc la Fabrique ZIF, à Penza] et n°42 du nom de Maslennikov. La Résolution approuve le plan de production suivant pour ces entreprises:
N°50: 1 million de montres-bracelets pour femmes de pièces par an.
N°42a: 2 millions de montres de poche pour hommes par an.
N°42b: 1 million de montres-bracelets pour hommes par an.
C’est la société LIP Horlogerie, de Besançon, qui sera choisie pour moderniser et développer l’industrie horlogère de l’URSS. Pourquoi LIP ? Parce les sociétés horlogères suisses d’abord pressenties refusèrent toutes de travailler avec la Russie soviétique ! C’est Fred Lipmann, petit-fils du fondateur, alors directeur technique, qui supervisera à partir de 1936 ces accords commerciaux avec l’URSS, recouvrant des achats de calibres et des transferts de technologie, et ce jusqu’à la seconde guerre mondiale.
LIP qui fournira de l’équipement et aussi le modèle de mouvement T-18 (T pour « Tonneau »), conçue par l’ingénieur André Donat et que LIP produira de 1933 à 1949. Des techniciens soviétiques firent des stages chez LIP sous la houlette d’André Donat en personne qui assure la supervision technique de la collaboration entre LIP et l’URSS. A Penza, la mise en place de la production est supervisée par les ingénieurs de LIP, mais aussi avec l’assistance de la 1ère Fabrique de montres de Moscou. Le développement se fait en un temps record puisqu’en 1938, la fabrique ZIF produit ses 1012 premières montres, de modèle T-18, sous la marque ZIF. De 1938 à 1940, 10.000 montres de femmes sont produites, rebaptisées en 1940 Zvezda (Звезда, « étoile »).
La guerre va bouleverser les plans soviétiques. En 1940 la défaite de la France prive l’URSS de l’assistance de LIP. La Fabrique de Penza est privée de pièces et de machines. Elle en développera la production au point d’en fournir bientôt toutes les fabriques horlogères soviétiques.
Dans un premier temps, LIP a également vendu une grande quantité de mouvements T18 pour alimenter la nouvelle fabrique avant qu’elle ne soit en mesure de produire ses propres calibres.
L’accord permet à l’URSS d’obtenir une technologie horlogère moderne et fiable, et Lip a obtenu l’argent nécessaire pour surmonter les problèmes financiers causés par son expansion rapide.
LIP va alors aider les soviétiques à concevoir et produire trois modèles:
Le « Zvezda » (à partir de son modèle T18 – « T » pour « tonneau ») pour la Fabrique de Montres de Penza
Le ЧK-6 (à partir de son modèle R43 – « R » pour « ronde ») pour la Fabrique Maslenikov (ZIM)
Le K-26 (à partir de son calibre R26 à l’origine pour la Fabrique Maslenikov, mais ce mouvement ne sera produit qu’après guerre: ce sera celui des « Pobeda ».
Quelques mots sur André Donat (1908-1976) qui joue donc un rôle clé dans la coopération horlogère de LIP avec l’URSS.
André Donat a fait carrière avant-guerre chez LIP où il est directeur technique de LIP. En 1931, il avait produit un mémoire intitulé Système de numérotation des spiraux : il reçut pour cela le prix de la Société Suisse de Chronométrie. De cette étude devait naître un système de numérotation universellement appliqué. Il conçoit, on l’a vu, en 1933, le mécanisme T18 et c’est donc lui qui s’occupera de l’aspect technique du contrat de LIP avec les Soviétiques.
En 1940, le régime de Vichy crée à Besançon du Comité d’organisation de l’industrie de la montre (COMONTRE) et du comité d’organisation de l’industrie horlogère (COHOR). André Donat devient le directeur adjoint du COMONTRE. En 1945, ces deux organismes fusionnent afin de créer le CEntre TEchnique de l’industrie HORlogère et André Donat en devient directeur. Cette promotion peut être liée à l’épuration. En effet, plusieurs responsables de l’horlogerie française seront condamnés pour collaboration, mais Donat est au-dessus de tout soupçon, à tel point qu’il plaide pour la défense du directeur de l’Ecole Nationale d’Horlogerie (ce qui n’empêchera pas ce dernier d’être condamné). En 1946, il rédige, à la demande des autorités, un rapport de 10 pages sur l’état de l’industrie horlogère française, ce document remarquable est une véritable photographie de la situation après la seconde guerre mondiale. André Donat restera directeur du CETEHOR jusqu’en 1971; puis il en deviendra le président jusqu’à sa mort en 1973.