Les montres des dirigeants soviétiques

Lénine

Ci-dessous, la montre de Lénine: une montre de gousset en métal blanc Moser d’avant la guerre:

Elle porte sur le fond le numéro LB-67, mesure 3,4 X 1,0 X 4,5 cm.

Dans le recueil Lénine tel qu’il fût – souvenirs de contemporains (tome 2, Moscou, 1959), F. Fotieva raconte le bureau de Lénine:
Il n’y avait pas un objet qui n’eût une importance quelconque pour Vladimir Illitch et qui ne refletât pas sa personalité. Seule une grande pendule anciennne déréglée faisait exception. Pour lui, toute pendule qui avançait ou retardait d’une minute par jour était mauvaise, or celle-ci prenait jusqu’à 15 minutes d’avance ou de retard. Le vieil horloger qui depuis des dizaines d’années s’occupait du remontage et de la réparation de toutes les horloges du Kremplin, entendit plus d’une fois les remarques Vladimir Ilitch au sujet de cette pendule, mais à ce qu’il paraissait, il n’était plus possible de la réparer. Cependant Vladimir Ilitch déclinait toutes les propositions de l’enlever. « Une autre ne marchera pas mieux », répondit-il. A la longue, rllr fut tout de même remplacée par une autre.
Ci-dessous: cartes postales représentants le bureau de Lénine au Kremlin. L’horloge faisait face à Lénine, à côté du portrait de Marx:

(photo: Delcampe)

Sur une photo des années ’20, on voit Lénine porter une montre-bracelet

Staline

La montre ordinaire de Staline a d’abord été une Buhre de poche en argent, ensuite une Longines en or de 1939. C’étaient des montres de qualité sans être remarquables.
Ci-dessous: La Longines de Staline, conservée dans le musée de Gori, sa ville natale, en Géorgie.


Yakov Ermolaevich Tchadaïev était pendant la guerre responsable du Conseil des commissaires du peuple (Conseil des ministres) de l’URSS, qui présidait Staline.
Pressé de raconter une anecdote sur Staline, il fit ce récit:
Une fois, alors que je faisais mon rapport à Staline, quand j’ai posé plusieurs documents sur la table devant lui avec ma main gauche (je tenais un dossier dans ma main droite), il a soudainement attrapé ma main gauche et, non sans ironie, a dit:
– S’il vous plaît, dites-moi quelle est cette montre intéressante?… De quel genre de montre s’agit-il?
J’ai répondu que c’était une montre suisse utilisée par des pilotes américains. La montre résistait aux chocs, à l’eau et au magnétisme. Ils m’en avaient récemment offert une.

-Je ne connais pas de telles personnes, a déclaré Staline.
J’ai commencé à enlever ma montre pour que Staline puisse mieux la voir, mais il m’a arrêté:
– Ne l’enlevez pas.
Après avoir signé les documents et m’avoir confié une tâche, Staline a légèrement levé la main en signe que je pouvais partir.
En passant devant Poskrebyshev, je lui ai demandé:
-Alexandre Nikolaïevich, le camarade Staline s’est intéressé par ma montre pour quelque raison.
– Et quoi!, tu tombe de la lune? – répond-il – Le camarade Staline a une collection de montres-bracelets. Petite, mais très intéressante.
De chez Staline, je suis allé dans le bureau de Boulganine pour obtenir la signature d’un projet de décret du Conseil des commissaires du peuple. En deux mots, j’ai dit à Nikolaï Alexandrovich que Staline était intéressé par ma montre.
– Eh bien, montre-moi cette montre.
J’ai enlevé ma montre et l’ai posée sur la table.
– Elle n’a rien de spécial, – dit Boulganine – Les pilotes utilisent de telles montres. Mais le camarade Staline lui a d’évidence prêté attention parce que je sais qu’il collectionne les montres. Une fois, j’ai accidentellement oublié ma montre de poche chez lui, mais je n’ai jamais essayé de la récupérer.

De retour à mon bureau, j’ai rapidement préparé un projet de document que Staline m’avait chargé de faire, et j’ai commencé à me demander s’il fallait ou non offrir la montre au « patron ». Après tout, il pouvait réagir de manière différente à ce geste, y compris de la manière la moins désirable (limogeage pour corruption, etc.).
Finalement, j’ai pris ma décision. J’ai appelé Poskrebichev et je lui ai demandé si Staline était là. Il a répondu que Staline était allé dîner. J’ai alors détaché ma montre, je l’ai mise avec le projet de résolution
dans une enveloppe que j’ai déposée dans la salle d’attente, pour être remise à Staline.
Habituellement, Staline, après avoir pris connaissance de mes papiers, m’appelait rapidement et me rendait les documents qu’il avait signés. Cette fois, il n’y a pas eu de d’appel. Une journée entière passa. J’en ai à peine dormi. Eh bien, je pense qu’il y aura des conséquences pénibles pour cet acte imprudent.
Enfin, Poskrebichev appelle et dit:
– Pourquoi tu ne viens pas? Allez, viens prendre ta montre.
Je suis juste devenu glacé. Je suis allé chez Poskrebichev et j’y ai reçu une enveloppe scellée avec quelque chose de solide. Je suis vite retourné à mon bureau et j’ai coupé l’enveloppe avec des ciseaux et extraire le document et la boîte signée par Staline. Je l’ouvre et je vois avec étonnement un chronographe en or.
Quelques jours plus tard, j’ai été abordé par le chef de la sécurité de Staline, le général Vlasik.
– Eh bien, tu m’en a donné du boulot!
– Comment cela, Nikolaï Semenovich?
– C’est sûr! Le camarade Staline m’a appelé et m’a donné l’ordre de trouver d’urgence une bonne montre. J’ai quadrillé tout Moscou et, enfin, j’ai acheté ce chronographe dans un magasin. Je l’ai apporté au camarade Staline qui m’a dit: « C’est pour un échange avec le camarade Tchadaïev. »
Staline lui-même, lors de réunions ultérieures avec moi, ni pas dit un mot de cette montre, il n’y a fait aucune allusion. Et il ne m’a pas demandé si j’avais aimé sa montre. De même, je n’ai pas essayé de lui rappeler cet incident en aucune façon…

On ne sait pas grand chose de cette collection, sinon qu’elle comportait assez peu de pièces et qu’elle était surtout composée de cadeau.
Beaucoup de cadeaux ont cependant été remis à un service chargé de les redistribuer.
Staline avait reçu plusieurs cadeaux horlogers de prestige, comme une « pendulette mystérieuse » modèle A, de Cartier, qui lui avait offert le général de Gaulle.

Les registres de Patek-Philippe indique la vente d’une montre N° 93709 destinée à Joseph Staline le 15 août 1947. L’horloger Louis Cottier, en collaboration avec la manufacture Agassiz & Co, avait produit à quatre exemplaires d’une extraordinaire montre de poche « World Time », qui a été produit en quatre exemplaires à destination des « quatre grands vainqueurs »: Staline Roosevelt, Churchill et de Gaulle.

Malenkov

Je n’ai rien trouvé à son propos, sinon qu’il aurait reçu une des premières montres de la 1ère Fabrique de Montres de Moscou.

Krouchtchev

Deux anecdotes.

La première figure dans les mémoires de son fils, Sergueï Khrouchtchev: Il s’agissait d’une petite montre de poche rectangulaire offerte par le physicien américain Leó Szilárd. Nikita Sergueïevitch a chéri cette montre et l’a montrée à tout le monde. Une fois ouverte et fermée, la montre était remontée. Khrouchtchev aimait particulièrement cela, il aimait les solutions techniques pleines d’esprit.
Ce trait est confirmé par l’histoire de la Slava transistor, si celle-ci était authentique. Cette histoire, peut-être apocryphe, veut que Krouchtchev qui, ayant reçu du président Lyndon Johnson une Bulova Accutron 214, avait été captivé par le modèle et avait demandé à la 2e Fabrique de montres de Moscou de produire quelque chose de similaire, ce qui fut fait par rétro-ingénierie. en savoir plus sur la Slava « Transistor »

Lorsque Khrouchtchev fit sa visite aux USA en 1959, il visite la grande usine de machine Mesta, à Pittsburgh. Kenneth Jackey, un ouvrier de dix-huit ans, a donné lui a un cigare. En retour, Khrouchtchev a donné sa montre à Jackey, a passé son bras autour de son épaule, et a fait quelques pas avec lui. La petite histoire veut que Kenneth ai fait évalué la montre pour l’assurer, et qu’elle avait été estimée à… 14 dollars (de l’époque, une centaine de dollars aujourd’hui).

Kenneth Jackey avec la montre de Khrouchtchev, désormais sienne

Brejnev

Brejnev était un grand amateur de montres, y compris de montres occidentales ( il a porté une Rolex). Cela était bien connu et on en lui offrait souvent. Lui-même offrait régulièrement des montres de prix. Sur les photos, on le voit généralement avec des montres soviétiques.

Brejnev portant sa Raketa
La Raketa en or du type de celle portée par Brejnev
La montre portée par Brejnev, exposée au musée Raketa
Brejnev avec une Slava

Dobrynine, qui était ambassadeur de l’URSS aux États-Unis, a raconté dans ses Mémoires:
Je dois dire que Brejnev aimait plaisanter lorsqu’il rencontrait Kissinger et ses conseillers. Je me souviens de cet épisode.
Une fois, pendant un court repos, la conversation s’est tournée vers l’horlogerie. Sonnenfeldt, le conseiller de Kissinger, se vantait de sa montre suisse. Soudain, Brejnev, couvrant sa montre-bracelet de sa main, proposa à Sonnenfeldt d’échanger – sans regarder – leurs montres. Ce dernier a d’abord hésité, mais ensuite, décidant apparemment que le secrétaire général du Comité central du PCUS devait avoir une montre coûteuse, a accepté d’échanger. Le marché a été conclu.
Il s’est avéré que Brejnev portait une simple montre soviétique, qui lui avait été présentée par l’équipe d’une fabrique horlogère. La montre était de bonne qualité, mais avec un boîtier en acier plutôt qu’en or, comme les Américains s’y attendaient apparemment.
Bref, sa montre était plus chère que celle de Brejnev, mais Sonnenfeldt devait se consoler avec le fait qu’il avait maintenant une montre souvenir portée par le plus grand dirigeant soviétique
.

Une autre anecdote met en scène

En 1974, il y a eu une rencontre à Moscou entre le secrétaire d’État des États-Unis, Henry Kissinger, son homologue soviétique, et Brejnev. Brejnev montra un intérêt pour la montre-bracelet que portait Kissinger, qui était une Pulsar P2, qui était entrée en production en 1970 et a été la première montre-bracelet numérique avec un affichage LED. Il s’agissait d’une montre très exclusive, chère bien sûr, et technologiquement avancée pour l’époque.
Kissinger a montré sa montre à Brejnev qui lui a expliqué que l’URSS avait déjà développé cette technologie, mais qu’elle n’était pas encore en mesure de la produire à grande échelle. Le lendemain, Brejnev a donné à Kissinger une Elektronika, avec le module LCD B6-02. Le secrétaire américain a fait l’éloge de la montre , tout en l’examinant de près. Son inquiétude était évidente car il ignorait que l’Union soviétique disposait de la technologie CMOS, base de celle des microprocesseurs, ce qui avait de graves implications stratégiques.

Andropov

Sur cette photo-portait officielle, il semble porter une Poljot (mais cela pourrait être une Vostok):

Tchernenko

Je n’ai rien trouvé à ce propos, on le voit sur quelques photos porter une montre dorée et fine, innidentifiable.

Gorbatchev

L’annecdote est célèbre: en 1985, Gorbatchev se rend en Italie avec au poignet un Raketa « big zero ». Le jour d’après, les journaux publient une photo montrant en gros-plan le poignet du secrétaire général du Parti, avec en sous-titre «Les Russes commencent de zéro». Une boutade faisant référence à la Pérestroïka.

Le plus souvent pourtant, on le voit porter une Poljot, comme sur les deux photos ci-dessous:

La montre-réveil Vulcain Cricket a été portée par plusieurs des Etats-Unis: Harry Truman, Dwight Eisenhower, Richard Nixon et Lyndon B. Johnson. Pour entretenir la légende de la Cricket, Michel Ditisheim, dernier patron de Vucain, a l’idée d’en offrir une à Gorbatchev, en 1987. Grâce à l’ex-président de la Confédération Pierre Aubert, qui accepte de jouer le rôle de médiateur, un exemplaire doré de la montre quitte la Suisse pour être remis au Kremlin. Fin décembre 1990, il peut voir Gorbatchev porter cette montre en couverture du TIME.

Sources principales:

http://forum.watch.ru/showthread.php?t=16845
https://genby.livejournal.com/473671.html
https://sekondtime.wordpress.com
https://www.esquire.com/uk/watches/a33818110/winston-churchill-pocketwatch-auction
https://www.swissinfo.ch/fre/culture/blog-du-mus%C3%A9e-national-suisse_la-montre-des-pr%C3%A9sidents/47137110