Toute l’histoire de l’Union soviétique se reflète dans celle de son industrie horlogère.
Avant la Révolution de 1917, il n’existait guère en Russie que quelques petits ateliers, appartenant le plus souvent à des émigrés suisses ou allemands, emboîtant des mécanismes importés.
La collectivisation de ces ateliers et l’emboitage de mécanismes importés à prix d’or (littéralement) n’était pas une solution durable, surtout dans la perspective de l’industrialisation du pays.
Le gouvernement soviétique acheta en 1930 aux USA deux usines horlogères en faillite – c’était la grande crise en Occident – et commença la production en masse du mécanisme « Type-1 » qui allait se retrouver dans les montres à goussets des techniciens, sur le tableau de bord des avions, au poignet des officiers.
De plan quinquennal en plan quinquennal, l’URSS allait développer une formidable industrie horlogère, innovant dans les mécanismes comme dans les procédés de fabrication, avec une philosophie bien particulière: les montres devaient être à la fois économiques à produire, fiables, solides, faciles à entretenir et à réparer.
Ces contraintes exigeaient un remarquable effort d’ingénierie, d’abord obtenu avec l’aide de spécialistes étrangers (notamment les Français de LIP), ensuite développé en toute indépendance, grâce à la création en URSS d’instituts de recherche et d’écoles horlogères.
Après la période d’avant-guerre, « une montre par spécialiste », a succédé la période « une montre par citoyen ». Son symbole en est la Pobeda, qui devint, à partir de 1945, la montre la plus produite au monde.
Obéissant à une logique autre que celle du marché, privilégiant la demande sociale à la demande solvable, l’industrie horlogère soviétique a développé une production de qualité sur une échelle jamais vue dans le monde. L’URSS était devenu la deuxième puissance horlogère mondiale, derrière la Suisse.
Dans les années ’60, les Raketa, Vostok et autres Poljot furent exportées massivement dans le tiers monde mais aussi en Europe, souvent sous des marques anodines qui en masquaient l’origine. Sekonda devint la marque la plus vendue en Grande-Bretagne tandis qu’en France, à Besançon, Slava ouvrait une usine qui emboitait par dizaine de mille des mécanismes venus d’URSS
Les années ’70 furent l’âge d’or de l’horlogerie soviétique.
C’était alors sa troisième époque: « à chaque citoyen sa montre ». Si une montre restait un objet cher, elle n’était plus un luxe pour le citoyen soviétique. Les gammes s’élargirent, proposant des modèles très variés, avec diverses complications, ou pour divers usages: montre de plongée, montre pour enfant, montre-bijoux, montres de profession (avec pulsomètre pour médecin), etc.
Ce sont littéralement des milliers de modèles différents qui furent alors produits.
A la différence de ses homologues suisse, française, américaine et allemande, l’industrie horlogère soviétique su négocier le virage du quartz, produisant à grande échelle ses propres mécanismes, même si elle dû reculer sur les marchés d’exportation au profit des producteurs japonais et hong-kongais.
L’effondrement de l’URSS réduisit presque à néant cette industrie prestigieuse, qui employait des dizaines de milliers de travailleurs et de travailleuses, dont les fabriques étaient autant de petites villes avec logements, parcs, stade, crèche, école technique et piscine.
Une production médiocre, destinée au touriste, apparut alors qui entache encore aujourd’hui la réputation de l’horlogerie soviétique qui fut, en son temps, un indiscutable succès technique, industriel, social, commercial et – mais c’est ici une question de goût -, esthétique.
Avertissement
Qui veut s’y retrouver dans l’histoire de cette industrie et dans ses produits ne doit pas suivre la logique occidentale des marques.
Certaines marques ont été produites en URSS par plusieurs fabriques en même temps, certains marques sont passées d’une fabrique à l’autre, un même modèle produit par la même fabrique a pu changer de marque. Il y a bien des explications à cette valse des marques, mais le fil d’Ariane de plus sûr pour se retrouver est de renoncer à la logique des marques pour s’en tenir à la logique des fabriques.
C’est cette logique qui détermine l’architecture de ce site.